Une fleur d’une couleur particulière
Dès qu’elle la vit, elle se sentit irrépressiblement attirée par sa couleur, son éclat, sa flamboyance. Elle n’avait jamais vu de fleur d’une telle couleur orange, aussi vive. Orange, avec un soleil jaune, lumineux entourant un cœur plus sombre en forme d’étoile. La beauté, la magie de la nature, l’extraordinaire surgissant d’un coin de l’œil et emplissant soudain le regard, puis le cœur de la jeune femme.
Elle était entrée dans ce jardin un peu en catimini. Elle savait qu’il était habituellement ouvert, mais n’en avait jamais franchit le portail. Ce jour-là, plongée dans une étrange mélancolie, ses pas l’avaient amenée devant le portail habituellement ouvert. Cette fois-là, il était fermé. Elle retint son souffle quelques instants, prit une inspiration, s’enhardit et tourna à la poignée. Le ventail s’ouvrit et elle le referma vivement derrière elle de crainte d’être surprise dans un acte interdit.
Un étrange appel
Jadis, elle venait régulièrement dans ce parc. Elle y rencontrait son amoureux Lucas. Ils se promenaient main dans la main en silence, s’arrêtant parfois pour un doux baiser. Son cœur s’accéléra et elle revint à nouveau à cette magnifique fleur orange. Cette attraction était telle qu’elle s’imagina un instant que la fleur l’avait appelée. Regardant attentivement les nombreux pétales qui luisaient au soleil et frémissaient sous la brise, elle poussa un soupir. Ah, si la vie pouvait être aussi simple que la vie d’une fleur. Être là, tout simplement, pousser, grandir, éclore et s’épanouir sous les rayons caressants d’un soleil printanier. Une vie simple, ce à quoi elle aspirait plus que tout au monde. Sans histoires, sans tracas, est-ce possible ? Elle regarda à nouveau la fleur. Son cœur sombre, en forme d’étoile, semblait promettre un mystère. Elle eut alors envie de plonger dans ce mystère, plonger dans l’insondable. Comme hypnotisée, elle s’approcha encore, encore plus près. Elle s’arrêta, retenant encore sa respiration, et se sentit comme tiraillée par un léger son. Un tintement très fin, ténu mais insistant, titillait son oreille. Intriguée, elle tourna légèrement la tête pour approcher son oreille de la fleur. Elle se redressa vivement, surprise, étonnée ! « Non, ce n’est pas possible ! » Elle regarda la fleur en fronçant les sourcils. Bizarre. Elle respira et se remit à l’écoute de ce son étrange qui chatouillait son oreille mais aussi quelque chose de plus profond et de plus caché en elle. Un brin mal à l’aise, elle se balança d’un pied sur l’autre. Elle regarda autour d’elle. Non, vraiment, le son, tel un minuscule rire cristallin, venait bien de la fleur. La fleur riait ? Elle se crut folle, perdue et chancela légèrement. Mais l’appel irrésistible reprit le dessus, et l’envie d’en avoir le cœur net la fit se ressaisir. Elle approcha à nouveau sa meilleure oreille et se pencha pour écouter. Oui, quelque chose riait là. Ce son semblait en effet sortir du cœur de la fleur. Ça riait comme une douce moquerie envers elle. Nullement offusquée d’être l’objet de cette moquerie, elle redoubla d’attention. En fait, elle entendait plusieurs rires, des gloussements. Comme si le cœur était rempli de petites filles joyeuses et contentes de leur plaisanterie. En y regardant, de plus près, elle vit que quelque chose bougeait dans ce cœur de fleur. Quelque chose qui semblait se faufiler entre les fins pistils jaunes. Quelle ne fût pas sa surprise de voir apparaître un minuscule chapeau rouge, et sous le chapeau, un visage encore plus petit. Qu’est-ce que c’est que ça ? Un lutin ? Un farfadet ? Il lui semblait pourtant que ces créatures de légende étaient bien plus grandes. Une deuxième petite créature osa une timide apparition. Elle était fascinée, émerveillé. Elle resta immobile, à regarder le lent manège des apparitions. Cinq minuscules êtres se tenaient là, debout, face à elle, dans le cœur d’une fleur qui ne dépassait pas 7 cm de diamètre, à la regarder fixement, tout en se trémoussant de joie. Puis d’un seul mouvement coordonné, ils se joignirent et entonnèrent à l’unisson : « bonjour Blandine ! » Elle sursauta ! Comment pouvaient-ils connaître mon prénom ? Oubliant un instant l’étrangeté de la situation, elle osa : « vous connaissez, mon prénom ? Bien sûr ! Le soleil, le vent, les oiseaux, nous l’ont susurré » répondirent les lutins. Ainsi avait-elle conclu qu’ils étaient. « Tu t’appelles Blandine et ton cœur est lourd et sombre ». À ces paroles, la joie de l’expérience extraordinaire qu’elle était en train de vivre s’effaça et la mélancolie revint appesantir sans son cœur.
Mélancolie
Elle soupira en repensant à sa vie misérable. Ces derniers mois avaient été de plus en plus difficiles. Son chagrin, au lieu de s’alléger avec le temps, ne faisait qu’empirer. Pourtant, elle n’était ni la première, ni la dernière à avoir un chagrin d’amour. Mais cette fois, encore plus que les précédentes, elle y avait cru à cette belle histoire. Elle avait même envisagé de se marier et peut-être de fonder une famille. Mais non, déception cruelle, le fiancé était parti loin, en mission à l’étranger et mis fin à l’histoire sans une explication. Chagrin, peine, auto dévalorisation, elle si joyeuse, si enjouée, s’était fanée. Elle soupira en regardant les lutins à nouveau. « Cesse de pleurer, Blandine, ne vois-tu pas que la vie peut être belle ? Qu’un tel l’homme ne te méritait pas ? Ne vois-tu pas comme tu es belle, et comme les talents dont tu disposes sont mal employés dans cette entreprise dans laquelle tu t’obstines à rester ? Ne vois-tu pas comme tu penses et vis petit ? Alors que le monde est immense. Tu sembles aussi petite que nous enfermée dans ton appartement. » Elle hocha tristement la tête, oui, son monde était petit, étriqué, terne, gris, froid même. Plus de couleurs, plus de saveurs, et ce depuis certainement bien plus longtemps qu’elle ne se laissait croire. Elle redressa la tête et regarda le jardin autour d’elle et revit en souvenir ses douces promenades avec son amoureux Lucas quand elle avait 16 ans. Qu’était devenu cette magnifique jeune fille, pleine de promesses ? Lucas était parti lui aussi, non sans jurer de rester en contact. Mais ça s’était délité. Les études, les premiers boulots, la pression, le stress, quelques rencontres, jusqu’à Julien. Elle regarda amèrement le fil de sa vie. Là, les bras ballants, désabusée, sans plus d’illusions, disant adieu à tous ses rêves d’antan.
La vie est belle !
« Ohé, crièrent les lutins, reviens ! Cesse de te lamenter sur ton sort ! La vie est bien plus que ce morne destin ! Ta vie est bien plus précieuse pour que tu ne la gâches en de futiles regrets ! Tu voulais de la simplicité ? Voilà ! Regarde, respire, sens, ressens, là, maintenant. Sens ton cœur battre, ton corps vivre, ta respiration scander l’ensemble de tes mouvements. Arrête de te lamenter et reviens là ici et maintenant. Accueille la magnifique personne que tu es. L’Univers t’aime telle que tu es ! Regarde le cadeau qu’il te fait aujourd’hui en te permettant de nous découvrir. C’est simple, tu as su voir la fleur, te rapprocher, t’arrêter et t’écouter. La vie ne demande rien d’autre que cela, être là, présente, à l’écoute et te laisser surprendre. Par un chant d’oiseau, un murmure du vent, une parole saisie au vol, une image, un geste, une situation. Reste là, accueille, et tu verras qu’il y a bien plus de merveilles qui s’offrent à toi que tu n’imagines. Garde ça toujours en mémoire : l’Univers t’aime ! Quelle incongruité de ne pas t’aimer toi-même ! L’Univers t’aime et c’est tout ce qui compte. »
Les lutins se firent alors silencieux, le visage grave et les yeux pétillants d’amour et de malice. Un par un, lentement, ils lui firent un petit signe d’adieu et se dissimulèrent peu à peu dans le cœur de la fleur. Blandine se redressa, elle perçut alors les larmes qui avait coulé sur ses joues. Et alors, le cœur léger comme jamais il avait été, elle quitta le jardin magique.
Carlotta Munier
Le 08/04/23
(Fleur pourpier du jardin de la Villa Magdala à Hyères)
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