Un accouchement si difficile

Ecrire ou ne pas écrire. Ecrire, sa raison d’être, l’appel de son âme, son souffle de vie et pourtant un acte si difficile. Comme un accouchement douloureux et interminable, où il faut aller chercher aux forceps et à l’arrachée cette inspiration qui, sur le point de jaillir, se dérobe et reflue. Les forceps glissent, le bébé remonte, comme pour se réfugier dans les entrailles, au sein d’une matrice immature, incapable de porter son fruit à son terme.

Une source tarie ?

Pourtant elle a pu écrire dans la douceur, dans la paix et bien sûr dans le plaisir. Laisser le flot libre et joyeux se répandre comme un liquide fluide et irisé sur des pages blanches ne demandant qu’à être fécondées par ces signes et ces symboles. Ces pages, qui, alors ainsi jonchées, prenaient la mesure de leur importance car sans elles, nulle prose, nul poème, nul essai.
Elle avait pris tant de plaisir à découvrir de jolies histoires, des petits contes qu’elle se réjouissait alors, dans le secret de son cœur, de l’impact que ses textes produiraient sur ses lecteurs.

Mais un jour vint la peur. Et la peur la prit. La peur de l’assèchement, la peur que le mental menteur ne s’arroge un jugement austère et impitoyable et ne l’accuse de futilité. La peur que la banalité envahisse, telles des herbes que l’on dit mauvaises, le jardin de son imaginaire. La peur des réactions de ses lecteurs disant d’elle que cette fois elle ne s’était pas vraiment foulée l’autrice. Que c’était un peu léger et facile ce qu’elle proposait. La peur surtout que la Source ne soit plus accessible, comme si le chemin avait été barricadé avec une barrière épaisse bardée d’un cadenas massif et inviolable. Derrière, des promesses inaccessibles, tel un magnifique champ de coquelicots, fleur vive qui, une fois cueillie se fane en quelques secondes. Route barrée, voie sans issue ? Impossible de franchir cette muraille impénétrable qu’elle avait elle-même érigée de ses peurs, de ses doutes, de ses jugements.

Vers qui se tourner ?

Mais comment faire alors pour trouver ne serait-ce qu’un interstice par le lequel se faufilerait un brin de lumière qui l’approcherait timidement, qu’elle saisirait délicatement de crainte qu’il ne s’effrite sous ses yeux inquiets ? Elle décida alors de s’en remettre à ses guides. Des guides qui avaient su l’accompagner dans de sombres périodes et qui lui avaient permis de traverser ces déserts stériles pour rejoindre, certes péniblement et patiemment, des rives plus verdoyantes et prometteuses. Elle décida alors de cesser de forcer cette naissance improbable et difficile et de s’ouvrir à tout ce qui pourrait fertiliser son terreau asséché. Elle se remit alors à lire des romans et des contes de manière à accueillir dans son cœur la magie des histoires, savourer l’arrangement poétique des mots suscitant joie et émerveillement. Elle devenait plus attentive au style des auteurs, à leur rythme, au tissage des intrigues qui prenaient forme à chaque page. Elle comprit alors que la Source était en effet bien là. Qu’elle avait les bons outils, qu’elle était dotée d’une tête bien faite pour assembler et articuler joliment mots, verbes, adverbes et autres figures de style et que, ce que sa cervelle avait perdu, c’était son ingénuité, sa candeur, sa foi et son plaisir. Alors même qu’elle prenait conscience de tout cela, elle sentait que les ronces qui avaient envahi son cœur se retiraient progressivement, non sans laisser néanmoins quelques traces sanguinolentes comme des témoins silencieux ou sondes attentives mettant en garde qu’elles pourraient revenir si on les laissait faire. Que ce n’est pas gagné si l’on perdait l’attention à prendre soin de ce précieux jardin de l’imaginaire, une bataille pour laquelle le mental ne s’avouait pas vaincu et qu’il n’aurait de cesse de reprendre les armes et revenir à la charge. Vigilance. Conscience plutôt. Qui donc décide ! Elle ou sa tête ? « Ni l’une, ni l’autre, c’est ton cœur » lui répondirent ses guides. « Ton cœur qui n’a qu’envie d’être joyeux et de répandre beauté et magie, ton cœur qui se moque bien des commentaires des lecteurs tout à l’amour dans lequel il est de rayonner cet amour à travers de simples mots ».

Carlotta Munier
(Le 28 août 2024)

(Crédit photo Lunaarseaart)