Le bonheur du retour à la nature vraie
Annabelle prenait un grand plaisir à grimper les rochers. Elle sentait chaque muscle de son corps relié aux autres et danser sous sa peau en mouvements et ondulations harmonieux à chaque poussée. Quel bonheur de pouvoir respirer librement cet air pur et quel bel endroit ! Elle sautait d’allégresse et retrouvait son équilibre à chaque pas. Elle s’arrêta un instant pour reprendre son souffle et admirer la vallée qui s’étendait sous son regard, traversée par une rivière argentée qui serpentait entre roches et végétation. Elle était heureuse de revenir sur les terres de son enfance, de reprendre contact avec les sensations des pierres maculées de lichen, les odeurs des pins, la caresse du doux vent et quelques chants mélodieux des passereaux. Elle regarda avec satisfaction ses mains blanchies au contact de la roche dure. Aucun bijou ne les ornementait, elle les aurait abîmés, or, elle ne voulait ni entrave, ni résistance dans son périple, elle avait juste besoin de se sentir en pleine possession de ses facultés, de sa puissance, de son animalité.
Une clairière magique
Elle avait perdu le contact avec son corps depuis trop longtemps se dit-elle en montant encore plus haut. Elle était restée trop longtemps sédentaire et s’était encroutée dans une routine devenue morne et insipide. D’un pas déterminé, elle décida de couper à travers bois vers un endroit précis. La joie inonda son cœur à l’évocation de ce lieu particulier. Elle leva la tête et observa les rayons du soleil se faufiler à travers la dense frondaison et frapper ici une touffe d’aiguilles, là une jeune fougère, ici encore une douce mousse enlaçant un gros chêne. Les chants d’oiseaux l’accompagnaient dans son expédition. Soudain, elle s’arrêta. Elle retint son souffle un instant avant de le relâcher lentement. Elle y était. Elle eut alors un léger vertige, comme si elle s’apprêtait à franchir un point de non-retour, à la lisière d’un autre monde. Elle regarda autour d’elle, puis revint poser ses yeux au centre de la clairière au seuil duquel ses pas l’avaient amenée, sur un imposant monolithe. Puis son regard glissa derrière lui, jusqu’à se poser sur un arbre massif sur lequel elle pouvait percevoir une gravure qui s’était estompée avec le temps. Elle sourit avec tendresse et nostalgie en repensant à cette fameuse nuit d’initiation dans cette clairière, avec ses amis, l’inscription se révélant comme un vestige d’une ancienne vie qui s’était perdue dans la brume de ses souvenirs. Elle s’ébroua et s’approcha du menhir qui la toisait de sa masse impressionnante. Elle posa la main dessus et reconnu la vibration particulière. Elle eut alors la sensation que l’ensemble de ses cellules se mettaient à danser. Tremblante de cette marée d’oscillations qui parcouraient son être et l’inondaient toute entière, elle affermit fermement ses pieds, les ancrant au sol pour ne pas tomber. Il était trop tôt. Elle devait se préparer. Comme à regret, elle retira lentement sa main, en expirant lentement.
Le rituel
Elle ôta son sac à dos et le déposa au sol. Elle sortit quelques objets. Une bougie et un petit photophore, un briquet, un petit grimoire recouvert d’une couverture en cuir rouge, quelques herbes soigneusement choisies pour ce rituel, un petit flacon d’eau d’une source sacrée, un petit bocal de graines sélectionnées comme offrandes, une grande lanière de cuir et d’autres petites choses. Elle répartit tout cela en un ordonnancement précis au pied du rocher. Puis une fois cela achevé, elle s’assit sans s’adosser contre lui. Elle ferma les yeux, effectua une courte méditation avant d’invoquer silencieusement les éléments, les esprits du lieu, ses propres guides. Elle se sentait à la fois fébrile et tranquille. Elle n’avait pas réalisé ce rituel depuis de nombreuses années, mais tout lui revenait en tête de manière très précise et ses gestes étaient assurés. Une fois prête, elle alluma la petite bougie et la glissa dans son support quasi hermétique. Il ne s’agissait pas de mettre le feu à la colline ! Déjà la luminosité diminuait et le ciel prenait une douce teinte orangée. Elle se sentait complètement chez elle dans cette nature encore un peu sauvage, au milieu de ce cercle d’arbre. Puis elle prit le grimoire et l’ouvrit au niveau du marque page. Elle lit le texte, le répéta plusieurs fois dans sa tête et se laissa pénétrer par l’incantation. C’est alors qu’elle retint son souffle et s’adossa contre le gros rocher.
De joyeuses retrouvailles
Elle reconnut alors le déséquilibre et le tournoiement familier et se sentie comme poussée en arrière. Elle bascula au travers de la pierre et se retrouva dans une grande grotte éclairée par une sorte de poussière lumineuse qui flottait dans l’air à environ trois mètres de hauteur. Elle se mit debout et s’aventura dans une galerie éclairée de la même étrange luminescence. Elle arpenta ainsi le couloir pendant plus d’une centaine de mètres avant d’arriver à l’orée d’une autre salle. Cette dernière, immense et lumineuse comme si le soleil était au zénith, était remplie de fleurs, d’arbres, de plantes. Un décor qui paraissait complètement surréaliste au sein d’une caverne. Pourtant, tout cela existait réellement. Elle s’avança respectueusement et perçu quelques mouvements furtifs dans les buissons alentours. Comme si une mystérieuse créature s’y cachait. Elle entendit alors un gloussement joyeux, comme celui d’enfants espiègles et ravis de leur plaisanterie. C’est alors qu’ils sortirent de leur cachette. Ces petits êtres n’étaient pas des enfants, mais des sortes de farfadets rieurs. Ils s’approchèrent d’elle et la regardèrent en souriant. « Bonjour Annabelle, dirent-ils en chœur ». « Bonjour les amis répondit-elle heureuse de les retrouver, j’ai besoin de vous. Ça fait bien longtemps que je pense venir ici pour vous retrouver. Je me sens mal dans ma vie. C’est comme si je m’étais perdue. Je n’arrive plus à trouver du sens à ma vie. J’ai une vie agréable, mais rien ne me fait vibrer. Je ne sais pas ce dont j’ai envie, j’ai perdu ma joie d’être. Quelque chose me manque. Je ne sais plus bien qui je suis, où je vais, à quoi je sers, comment contribuer au monde, à la vie. Il n’y a qu’ici que je me sens en phase, mais je sais que ce n’est pas ici que je dois vivre. S’il vous plaît, aidez-moi. ».
Les farfadets prirent alors un air grave. Ils étaient peinés pour Annabelle, sa détresse était palpable et leur étreignait le cœur. Les sept compères — parce qu’ils étaient sept — formèrent un cercle et se consultèrent. Puis ils lui firent face et l’un, peut-être le leader, prit la parole, « Ma chère, dit-il, tu as perdu ta connexion avec les étoiles et l’essence du monde. Tu as oublié qui tu étais et ce que tu étais venue faire ici. Assieds-toi, nous allons t’aider. ». Annabelle s’assit alors au sol contre un arbre dont l’écorce sembla s’assouplir pour mieux l’accueillir.
Les cadeaux de ses amis
Le premier farfadet s’approcha et lui offrit un flacon d’une huile sacrée et lui dit : « chaque fois que tu douteras, dépose une goutte d’huile au creux de tes poignets, frotte-les doucement et respire profondément cette fragrance. Elle contient du nard et a le pouvoir de rouvrir ton cœur. ». Ce disant, il déposa une goutte d’huile sur l’un de ses poignets. Elle les frotta doucement, en porta un à son nez et respira doucement. Immédiatement, elle sentit une douce vague de chaleur lui inonder le corps et le cœur. Quelque chose se dénoua en elle et elle se détendit. Elle regarda le farfadet avec étonnement et le remercia silencieusement.
Le deuxième lui déposa une pierre noire et lisse, peut-être une obsidienne, et lui dit : « quand tu auras la sensation de ne plus être stable et ancrée en toi, prend cette pierre et serre-la fort au niveau de ton cœur. Elle t’aidera à retrouver ton ancrage et ton alignement. ». Annabelle saisit la pierre et perçu sa densité, sa masse. Cela lui fit du bien immédiatement, comme si son corps venait enfin d’atterrir sur le sol, en sécurité.
Un troisième farfadet lui donna un pochon en tissu contenant des herbes et de l’encens et lui dit : « quand tu auras des difficultés à retrouver ton intuition, ta boussole intérieure, tes esprits, brûle un peu de ces herbes, elles ont la faculté de clarifier l’esprit comme le cœur. Il y a entre autres de l’armoise ». Elle sentit le parfum des composants à travers la fine toile et les nuages qui planaient dans son esprit s’effilochèrent peu à peu.
Un quatrième s’approcha et lui tendit une petite fiole de liquide ambré. Il lui expliqua : « quand tu te sentiras triste et désemparée, bois quelques goutte de cet élixir qui contient cette belle fleur de millepertuis, et tu retrouveras ta bonne humeur et ton allant. ». Annabelle ouvrit le petit bouchon de liège et huma la potion. Elle ne perçu pas grand-chose mais sut quelque part en elle que cet élixir contenait une sorte de sagesse ancienne.
Quant au cinquième, il s’avança avec un petit cordon soyeux qu’il glissa entre ses doigts. Il lui dit « quand tu te sentiras seule, prends cette cordelette et dis-toi qu’elle représente le lien. Le lien avec tes proches, avec tes relations, avec tes guides, avec nous et ce lieu magique, avec le grand cercle de l’humanité, avec ce qui est plus grand que toi. Ainsi tu ne seras jamais seule. ». Elle saisit la délicate ficelle et la fit jouer entre ses doigts. Et devina qu’un effet se produisait au-dedans d’elle, comme si un mouvement profond apparaissait d’ouvrir les bras et d’embrasser le monde.
Le sixième vint près d’elle et lui remit un petit châle sombre très doux, tissé dans une laine inconnue d’elle. « Quand tu seras fatiguée ou que tu auras juste besoin de revenir à toi, dépose ce châle sur tes épaules, enroule-toi dedans et laisse-le faire ce qui est bon pour toi à ce moment-là, lui confia-t-il. ». Le farfadet déposa le carré sur ses épaules et Annabelle goûta un réconfort immédiat.
Enfin, le septième farfadet lui donna ce qui ressemblait à un bonbon rouge dans une petite boîte et lui recommanda : « quand tu douteras de qui tu es, de ce que tu veux, de ta raison d’être ici-bas, prends-le, mets-le dans ta bouche. Laisse fondre la couche supérieure et croque ensuite le noyau. Cela fera comme une réinitialisation dans ton corps et ta tête. ». Elle prit la petite boîte avec déférence et remercia encore le farfadet de son cadeau magique.
Annabelle était si émue qu’elle ne sentait pas les larmes chaudes qui coulaient sur ses joues depuis un long moment déjà. Elle se sentait pleine d’une gratitude infinie et ne trouvait pas de mots pour l’exprimer à chacun tant ce sentiment était fort.
« Ne dis rien, repris le farfadet leader, tu es venue à nous dans ta vulnérabilité et en toute humilité, nous avons senti ton appel sincère et sommes venus à toi pour t’aider avec notre magie. Maintenant bois cette tisane, elle va te faire du bien. » Annabelle pris délicatement le bol fumant qui lui était présenté et remercia la créature souriante d’un regard reconnaissant. Elle but lentement une première gorgée. Puis une seconde, puis…
Elle se réveilla et s’étira avec bonheur. Elle se sentait encore un peu engourdie et sa torpeur se dissipant, elle prit conscience qu’elle est dans son lit, dans sa chambre, chez elle. Quel étrange rêve, se dit-elle songeuse. Elle alluma sa lampe de chevet et se redressa. Elle posa les pieds par terre et sentit quelque chose sous son talon. Etonnée, elle se baissa et découvrit au sol les sept cadeaux des farfadets de son rêve. Comment est-ce possible s’écria-t-elle surprise ? C’est alors qu’elle entendit un gloussement familier résonner dans sa penderie légèrement entrouverte.
Carlotta Munier
(Le 25 mai 2025)
(Photo générée par IA)
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