Apprivoisement
J’avançais lentement et doucement dans cet univers liquide duquel je m’étais longtemps tenue à l’écart. Précautionneusement mais résolument, j’avançais et je sentais sur mes mollets puis sur mes cuisses, le niveau monter. Arrivé aux hanches, je m’arrêtais et regardais autour de moi.
J’étais venue avec hésitation, soyons honnête, mais aussi avec une pointe d’anticipation joyeuse à l’idée de renouer avec une dimension importante. Je ne croyais pas si bien dire… Certaines femmes de notre groupe avaient insisté et finalement je ne me suis guère faite prier. Elles n’étaient pas loin. Ici l’une faisait la planche, là une autre nageait d’un crawl impeccable et là-bas trois discutaient à bâton rompu comme les femmes libres et passionnées savent le faire. Je refis face à l’immensité et repris ma marche un pas, un autre. J’apprivoisais, je retrouvais plutôt des sensations bien connues de mon enfance, et très agréables du fait de la température très douce de l’eau. Elle devait bien faire dans les 26° !
De légers courants plus chauds ou plus frais me caressaient les jambes. J’aimais bien percevoir ces différences, comme si par contraste et tout en finesse, la mer me disait « viens, continue à avancer, tout va bien, tout est tranquille, profite ! ». Oui j’étais tranquille, du moins tant que j’avais pied. Le lieu était agréable car peu fréquenté. Ni ballons surgissant de n’importe où, ni cris aigus, ni éclaboussures intempestives ne venaient déranger la quiétude des baigneurs de cette plage presque privée.
Un moment propice
Le moment était propice… Je sursautais car je cru entendre cette phrase chuchotée à mon oreille. Qui a parlé ? Je me retourne, personne ! Propice ? Propice à quoi ? Haussant intérieurement les épaules, mais intriguée tout de même, je repris mon cheminement. « Viens, nous t’attendions ». A nouveau stupeur, saisissement. Un petit cri s’échappe de mes lèvres. Mais que se passe-t-il donc ? J’entends des voix ?! Peut-être suis-je en train d’attraper une insolation ? Pourtant, après une ou deux profondes respirations, mon cœur se calme car je pressens qu’il s’agit d’autre chose. Autre chose auquel j’ai envie de me mettre à l’écoute car je reste curieuse malgré ma réticence avec l’élément eau. Je n’avançais plus. Immobile, j’admirais le soleil jouer avec les vagues et ainsi renvoyer des reflets chatoyants de toute part. Mes mains se mirent alors à jouer avec les scintillements et le liquide qui glissait entre mes doigts. Je faisais des mouvements dans l’eau fascinée par les effets lumineux que cela produisait en réverbération. Et ce faisant, sans m’en rendre compte, je commençais à danser, à danser dans la lenteur, dans l’épaisseur des flots, portée par ici, poussée par-là par de légères ondulations. Les miroitements me guidaient dans mes mouvements, dans mes figures, je me laissais complètement aller, emportée par cette fluidité, cette communion entre la mer et mon corps, des murmures à peine perceptibles et mon cœur. J’accélérais, je ralentissais. Mes bras et mes jambes obéissaient à un autre maître que moi et je me contentais, ébahie de suivre de l’intérieur, les impulsions proposées. Ma respiration était à la fois ample et profonde, parfaitement accordée à mes gestes et au ressac. Et je me sentais d’une légèreté incroyable, indescriptible, comme en apesanteur. Mes bras étaient aussi légers que des plumes portées par les vents, mes jambes souples comme des fines herbes balayées par la brise. Mon tronc tournait un coup dans ce sens, un coup dans l’antre, se pliait, se déployait avec la souplesse d’un Yogi dont j’ignorais totalement être capable. Ma tête aussi surprise qu’émerveillée tantôt achevait une pirouette, tantôt en amorçait une nouvelle.
Plongée
Ce ballet avec moi-même se poursuivi tant que j’en perdis totalement la notion du temps, de l’espace, jusqu’au moment où je me rendis compte que je n’avais plus pied. Et plus ciel non plus… Et autour, en haut, en bas, dessus, dessous, à gauche, droite, devant, derrière, partout la mer. Et comble de ma surprise, je m’y trouvais merveilleusement bien, ressentant comme une parfaite normalité à cet étrange phénomène. Dois-je vous préciser que de respiration il n’était point question. Peut-être ma poitrine se soulevait-elle, mais aucun air n’entrait ni ne sortait. Je ne respirais pas, mais j’étais bien vivante ! C’est alors qu’une formidable explosion de joie et de liberté se produisit dans mon cœur, entrainant une déflagration dans mon corps tout entier. Je vivais dans l’eau ! Comme une sirène ! La magie n’a pas été jusqu’à me fournir une énorme queue de poisson et j’en fus largement soulagée. Alors, toute à la découverte de ce nouvel état, je me demandais bien ce que j’allais faire pour en profiter le plus possible. Sans que ne m’effleure un instant la pensée du retour sur la place ou que ma disparition puisse inquiéter mes amies. Ne sachant non plus si le temps m’était compté, je décidais alors de descendre un peu et de visiter ce qui se présenterait.
De puissantes brassées, je nageais vers le fond qui me paraissait baigné d’une douce luminescence. Encore quelques mouvements et je m’approchais d’une sorte de cité immergée sans doute depuis bien longtemps compte tenu des algues et autres oursins qui y avaient élu domicile, trouvant entre les colonnes et autres murs semi-effondrés un habitat propice. Je posais les pieds sur le sable et je me tenais debout. Je regardais de partout, en prenant soin de faire des gestes lents et, surprise, mais pas tant que cela, je vis apparaître des formes, des ondulations, qui peu à peu prirent forme en s’approchant de moi. Leur corps ressemblait au mien, plutôt humanoïde, mais beaucoup plus fin, plus longilignes et souples, parfaitement adaptés à l’environnement aquatique. Sans à proprement parler d’écaille, leur peau était comme une nacre souple irisée qui changeait de couleur selon leur déplacement. Je regardais émerveillée et très émue ce spectacle magnifique et irréel. Sans m’en rendre compte, je pleurais de chaudes larmes qui se mêlaient immédiatement au liquide qui me berçait le visage, étourdie par tant de beauté et de magnificence. Je tombais à genoux presque comme une supplication, une gratitude infinie.
Accueil
Une forme se détacha plus encore du reste de la cité et vint à ma rencontre. Elle me fit face avec dignité et élégance. Une très belle femme, de haute stature. Une souveraine, sans aucun doute. Je voulu m’incliner en respect de sa personne et de ce qu’elle m’inspirait, mais elle m’arrêta d’un sourire doux. « Ma chérie, quelle joie de te revoir en ce jour béni. Mon cœur est tout attendri de ta venue, tu nous as tant manqué ». Tout d’abord interloquée de comprendre parfaitement cette voix cristalline s’exprimer dans mon cerveau, je me demandais bien à quoi elle faisait référence car, je le jure, c’était bien la première fois que j’étais confrontée à une telle expérience. « Oui, ma chérie, il y a fort longtemps, dans une autre vie, tu as séjourné ici. Tu étais des nôtres et nous étions ta famille ». Ok, je prenais l’information sans la remettre en question car elle l’affirmait avec une telle tranquillité qu’aucun doute ne pouvait se faufiler. « Nous sommes ravies de ta visite car nous avons un message important à te délivrer ». J’eu envie de répondre par la même forme télépathique et osais un timide « oui Majesté ». Je ne savais pas comment m’adresser à elle, alors j’avais hasardé ce titre.
Un message
« Ton monde est fragile et fragilisé et vous autres, humains, vous vous sentez perdus. Dans les apparences, c’est comme si vous aviez vos deux pieds de part et d’autre une profonde faille et que cette faille sépare inexorablement les deux falaises. Vous craignez la chute et ne savez pourtant pas quel camp choisir, chaque choix portant forcément un revers. Alors vous tentez un cloche-pied aussi audacieux que périlleux. En fait, le seul chemin pour toi, pour vous, c’est comme tu l’as fait aujourd’hui sans le savoir, c’est de plonger dans l’abysse de tes profondeurs inconnues pour visiter cet immense pays qu’est l’Inconscient et par là-même accéder à d’autres mondes encore plus subtils, afin de trouver votre propre axe, votre propre direction, votre propre vérité, celle de votre corps et de votre âme, main dans la main, eux seuls pouvant vous conduire sur votre propre chemin.
Ton chemin est celui de nul autre. Voici le plan pour chacun. Cesser de lutter extérieurement et plonger en vous-même en quête de votre propre pépite, votre propre lumière afin de la ramener dans le monde, éclairer votre pas avec et éventuellement guider ceux de quelqu’un d’autre. Voilà ma chérie le message que tu es venue chercher en osant descendre si profondément en toi aujourd’hui ». La reine se fit alors silencieuse et me fixa intensément de son regard sombre. Je sentis alors une force intérieure immense se soulever et se déployer à partir de mon cœur et presque « télécharger » en moi des messages, des sensations, des guidances, des enseignements que je consulterai plus tard.
Respectueusement, je remerciais la souveraine et m’apprêtais à prendre congé. Je portais alors le regard autour de moi et vis toutes ces « fillettes », toutes ces « femmes » autour de moi me sourire avec des yeux pleins d’amour. Le cœur gonflé, je décidais de remonter d’une impulsion de pied. Lentement je parvins à la surface et au moment de reprendre un grand bol d’air, je sursautais, réveillée brutalement par le son lourd d’un corps mouillé choir à mes côtés. « Tu as bien dormi ? » me dit-on alors…
Carlotta Munier
(Le 25/08/23)
Commentaires récents