Mizuhiki et Sakura

Comme c’est étrange et merveilleux ! Quelle finesse, quelle délicatesse. Elle se sentait comme une petite fille qui faisait la découverte d’un magnifique papillon en s’en approchant très lentement et en retenant sa respiration. Elle regardait la magie du liquide brûlant saisir la gracile petite fleur de papier finement pliée, tel un origami confectionné par des mains de lilliputiens. Elle était saisie d’une douce félicité en observant le dépliement, non pas en quête du motif qui émergerait, mais admirative du processus hésitant et flegmatique du papier effilé semblant presque vivant. Elle pensa encore au papillon, ce dernier qui, millimètre par millimètre, s’extrayait de sa chrysalide, puis dépliait paresseusement ses ailes devenues immenses, faisant découvrir au regard d’un témoin silencieux, la somptuosité qui alors apparaissait.

Un art dédié aux sensibles

Toute à sa concentration, elle ne percevait rien de son environnement qui n’avait aucune importance. L’essentiel, le crucial se déroulait là, patiemment, sous ses yeux. Elle prit d’ailleurs conscience de l’intensité de sa présence par la buée qui commençait à envahir le coin de ses yeux. Elle cligna alors brièvement pour ne pas perdre une miette du fabuleux spectacle destiné à elle seule. Car ce déroulement n’était réservé qu’à ceux et ceux uniquement qui sont sensibles à un tel art. Oui, c’est un art que de peindre puis façonner ces petits carrés de papier de façon à ce qu’ils prennent cette forme unique qui s’épanouira dans le liquide fumant et plein d’arômes d’un véritable thé vert japonais.

Le choc d’une rencontre magique

Elle finit par laisser échapper un long filet d’air de sa bouche alors que s’achevait la métamorphose. Et ses yeux se mirent à briller d’émotion lorsque le motif pastel apparu. Il s’agissait d’un majestueux Sakura, ces augustes cerisiers qui illuminent le pays entier au printemps d’un foisonnement de couleurs allant du blanc le plus pur à un rouge foncé d’une intensité remarquable, en passant par toute la gamme des roses. Elle en comprit un heureux présage car, osant enfin lever les yeux de sa tasse, elle put se mettre à contempler le superbe jardin qui s’offrait progressivement à sa vue. Et là, prenant toute la place qu’il méritait, face à elle, aussi imposant qu’évident, un Sakura se tenait fièrement. Elle regarda ces milliers de fleurs d’un rose très doux lui rappelant les flamants roses des paysages de son enfance. Ce cerisier géant semblait la fixer dans un désir ardent de s’adresser à elle, de lui délivrer un message important dont elle seule serait destinataire. D’ailleurs, chose étrange et rare, elle était la seule attablée devant une tasse et un bol de Mizuhiki… Sa poitrine se souleva pour se remplir du délicat parfum émis par l’arbre via ses multitudes de fleurs, comme pour tapisser chacune de ses alvéoles d’un baume, d’un onguent apaisant et réparateur. La tristesse l’envahie de nouveau, mais cette fois, elle accepta que s’y entremêle la douce fragrance qui pouvait, par une onction magique, alléger son chagrin et détendre son cœur.

Guérison

Oui, elle avait choisi la situation idéale pour prendre du recul et panser les meurtrissures de son cœur. Le temps des pleurs et des regrets s’achevait. Elle pouvait maintenant, grâce à la puissance et la générosité de l’arbre, retrouver une force et la sentir circuler à nouveau en elle. Elle perçut des parties de son corps, depuis longtemps crispées et raidies de peine, se relâcher et retrouver une nouvelle mobilité. Elle constata que sa respiration devenait plus ample, plus fluide, plus légère. Une nouvelle vitalité l’envahissait et l’amena peu à peu à une inébranlable résolution.

FINI. Fini cette histoire, fini de souffrir, fini les sanglots, fini de se lamenter et de marchander. Fini. Elle était enfin libre, son cœur dégagé à présent de toute entrave. Sa Vie lui appartenait de nouveau. Soudain joyeuse et pleine d’énergie, elle sauta sur ses pieds, pris son sac et son chapeau, adressa un sincère et profond Namasté au Sakura, lui effleura qu’en effet chaque année ces arbres faisaient l’objet d’un rituel national spécifique, et s’en fut presque sautillant sur un chemin parsemé de pétales de rose.

Carlotta Munier
(Le 26/08/23)