Une invitation étonnante

Elle relisait les quelques notes qu’elle avait prises de cette conférence pour le moins étonnante à laquelle elle avait assisté la veille. Encore abasourdie par ce qu’elle avait vécu. Elle, si cartésienne, s’était laissée entraîner par son amie Corinne qui lui avait dit : « viens, tu verras, au pire tu ne risques rien, au mieux, tu transformes ta vie ! ». D’abord, elle n’avait eu rien de mieux à faire et si elle était honnête avec elle-même, elle reconnut que sa curiosité était piquée. Elle avait alors repris en main le flyer de la conférence « Et si vous trouviez ici ce que vous avez toujours cherché sans le savoir ! Venez rencontrer Alphéon, le Maître du Temple Intérieur ». Un titre complètement délirant pour elle, un spectacle pour les plus crédules à n’en rien douter s’était-elle dit alors.

Un message subliminal ?

Une fois arrivées sur place, elle avait suivi son amie à travers la salle jusqu’à trouver 2 sièges à bonne distance de la scène. La lumière se tamisa et un spot fixa dans un cône lumineux le fameux Maître de ces lieux. Elle sourit intérieurement de sa propre bêtise de s’être aventurée dans cet attrape-couillon. Pourtant, sans vraiment comprendre les paroles que le maître distillait d’une voix hypnotique, elle avait l’impression que c’était comme s’il murmurait à son oreille des choses qu’elle seule connaissait sur elle. Même si cette voix chuchotait à un niveau si peu perceptible qu’elle eut pu en douter. Et plus le temps passait, plus elle se sentait comme vidée de quelque chose de non identifiable. Elle cessa de prendre des notes qu’elle inscrivait machinalement pour se concentrer davantage sur les mots, les phrases qui lui semblaient la dépouiller d’une forme d’énergie bizarre, une espèce de grisaille, comme un drap sale qui attend d’être retiré pour être lavé, une sorte de soie un peu collante qui glisse sur sa peau dans un mouvement ralenti et incessant. Au bout de quelques minutes, qui lui parurent durer une éternité, elle s’ébroua et sorti de cette espèce de torpeur. La lumière de la salle lui parut plus vive, plus éclatante, soulignant les couleurs, les formes, les contrastes et le visage du Maître lui apparut plus doux et plus chaleureux.

De l’autre côté du miroir

Comme dans un brouillard qui s’effiloche, parvinrent peu à peu les applaudissements enthousiastes de son amie alors que l’artiste saluait son public conquit. Anna cligna des yeux, elle avait une drôle d’impression de légèreté, une sensation comme d’avoir été alchimisée. Un terme étrange pour elle car il ne faisait pas partie de son vocabulaire. C’était comme si une transformation, ou plutôt une transmutation imperceptible avait opéré en elle sans qu’elle puisse vraiment le ressentir. En se levant, quelque chose sembla s’évaporer autour d’elle, comme une aura qui se départissait d’une poussière trop longtemps accumulée. Un peu groggy de cette expérience, Anna retrouva l’usage de ses membres et suivi Corinne. Elle ne pouvait rien dire, juste se sentir chancelante, un peu ivre d’une sensation inconnue et délicieuse, une sorte d’euphorie avait pris place dans son cœur. C’était comme si elle était passée de l’autre côté du miroir, qu’elle avait soulevé un voile et osé regarder derrière. C’était elle et pas elle. Elle se dit qu’elle avait été bel et bien hypnotisée par les chuchotements, mais n’avait pas trop envie de se questionner pour le moment. « On verra demain », se dit-elle.

Des sensations nouvelles

Elles allèrent toutes les deux dîner dans un restaurant à proximité et Corinne commença à encenser le Maître en répétant des phrases importantes qu’elle avait relevées pendant la conférence. Anna n’avait rien capté de ces paroles et écoutait Corinne un peu ailleurs, curieusement gaie, elle avait envie de pouffer de rire, de s’amuser, de danser, mais c’était tellement inhabituel voire insolite qu’elle préféra s’abstenir. Corinne la raccompagna chez elle et Anna s’endormit immédiatement une fois dans son lit et fit des rêves étranges dont elle ne se souviendrait pas.

Un voyage sans retour

Au matin, en relisant les quelques notes donc elle ne comprit rien de ce qu’elle avait écrit. Cela n’avait ni queue, ni tête. Juste une suite de bavardage New Age pour ménagères en mal d’extraordinaire dans leur vie bien fade. Puis ses yeux quittèrent les papiers et son regard se mit à errer dans le vague. Elle vit alors des images, des couleurs, des fleurs, des paysages magnifiques, de belles personnes lumineuses avec qui elle conversait en parfaite aisance dans cette rêverie qui faisait comme un vague écho de ses voyages oniriques. Elle revint sur Terre en se tançant « Allons ma fille, c’est pas sérieux tout ça ! Reviens ici ! ». Mais elle repartit dans sa rêverie. Elle se voyait entourée d’un halo de bienveillance par ces personnes qui lui parlaient avec gentillesse. Ils lui racontaient des histoires. Des histoires sur la nature, sur la conscience, sur la forêt, sur la Terre-Mère. Ils lui parlaient de faire attention aux ressources, à notre monde. Ils lui chuchotaient des conseils, tout en lui tressant des couronnes de fleurs. Les larmes vinrent mouiller ses yeux et rouler lentement sur ses joues. Elle se trouva prise dans une sorte de maelström intérieur qui l’ébranlait jusqu’au tréfonds de son être, jusque dans un endroit dont elle ignorait l’existence jusqu’ici. Elle pleura longuement sur elle, sur sa propre cécité à l’égard du monde et de la situation actuelle de la planète. Elle pleura de son inconscience, et de sa nouvelle conscience, elle pleura de son inconséquence et de sa nouvelle et farouche détermination.

Son chagrin tari, Anna pris une grande respiration et décida de lister les choses à faire pour changer de vie, changer sa façon de vivre, changer sa façon d’être dans ses relations et changer en premier sa propre relation à elle-même en commençant par regarder les endroits où elle-même ne se respectait pas. En fait, elle comprit soudain que le Temple, c’était elle, qu’elle venait de le découvrir et qu’elle en était la Maîtresse. Elle éclata alors d’un immense rire joyeux et adressa un clin d’œil invisible à Maître Alphéon.

Carlotta Munier
(Le 2 avril 2024)

(Crédit photo Angela Yuriko Smith)