Une émotion inconnue
Les gouttes de pluie tombaient sur son doux visage se mêlant aux larmes salées qui s’écoulaient lentement. Sophie ne pouvait pas mettre de mots sur cette émotion inconnue qui s’était emparée d’elle depuis quelques instants, alors elle se contenta d’accueillir ce mouvement en elle. C’était comme si elle avait déposé un énorme poids, que, sans savoir ce qui pesait aussi lourd, que d’elle un fardeau avait glissé jusqu’au sol, libérant une immense place dans sa poitrine, dans son cœur, dans son ventre. Comme si une nouvelle conscience émergeait lentement au creux de son être, comme si elle savait, sans savoir comment, que quelque chose de très spécial était en train de se produire. Inspirant profondément, elle tendit son visage vers le ciel qui se dégageait progressivement, la pluie cessant. L’apparition d’une douce luminosité faisait miroir à ce qui était en train de naître en elle. Elle laissa son visage sécher sous les rayons caressant de ce soleil printanier et se remit en mouvement. Elle regarda la ville autour d’elle à la recherche de ce qui avait déclenché ce moment extraordinaire, cet instant magique qui l’avait tant bouleversée. Revenant sur ses pas, elle regarda les devantures des magasins et s’arrêta devant la vitrine d’une boutique d’antiquités surmonté d’une enseigne de bois peint, un peu défraîchie, indiquant « cabinet de curiosité ». Son regard se posa immédiatement sur une belle lanterne ancienne posée sur un guéridon. Elle senti instantanément un écho en elle, comme un coup ou plutôt une attraction. Cette lampe l’appelait, elle la connaissait, elle semblait liée à elle de quelque manière.
Le cabinet de curiosités
Sophie poussa la porte vitrée qui produit un léger tintement de clochettes dans le fond du magasin et entra. Un bric-à-brac rutilant et chaleureux l’accueillit. L’espace était relativement encombré, mais elle se fraya facilement un passage vers le comptoir en zigzagant. Elle avisa un vieux monsieur plongé dans un livre ancien relié d’un vieux cuir craquelé. Elle le salua et il leva la tête vers elle en souriant doucement. Elle découvrit un visage ridé très avenant et des yeux pétillants. Il posa délicatement son ouvrage en y glissant un marque page ornementé de dorures.
— « Bonjour Mademoiselle, que puis-je faire pour vous, s’enquit-il.
— Je viens de voir votre lanterne et, je ne sais pas, mais j’ai l’impression qu’elle m’appelle. Bizarre, non ?
— Mademoiselle, il n’y a ici que des objets qui ont des effets étranges ou inattendus sur les gens. C’est donc la lanterne d’Albert qui vous appelée. Bien, très bien. Je vais vous la chercher.
— La lanterne d’Albert ?
— Oui, elle aurait appartenu à Albert le Grand. Bon, j’en doute un peu, mais c’est la légende qui le dit. Le théologien, scientifique, alchimiste peut-être sorcier. On ne sait pas tout sur ce saint homme, aurait-il été à l’origine du fameux grimoire ? En fait, nul ne le sait, mais on pourrait aisément se perdre dans une rêverie en imaginant l’homme rédiger ces savantes et complexes formules à la lumière de l’objet en question, non ? »
Le vieil antiquaire se leva prestement et tout aussi agilement se faufila entre les meubles et autres objets en équilibre pour récupérer la lanterne dans la vitrine. « Voilà, elle mériterait un petit coup de chiffon mais elle n’est quasiment pas oxydée, voyez ». Il tendit l’objet vers Sophie qui, comme saisie d’un léger vertige, n’osa le prendre, à la fois inquiète et un peu fébrile d’envie. Après une profonde respiration, elle tendit une main hésitante. Lorsqu’elle toucha l’anneau, elle fut troublée et son cœur se mit à battre fort, comme s’il reconnait un ami cher perdu de vue depuis longtemps. Elle cligna des yeux pour éviter de chanceler, inspira et se reprit. Elle regarda le vieil homme qui lui souriait. « Oui, elle est bien pour vous, à vous ai-je failli dire ! ».
D’étranges messages
Sophie avait délicatement déballé la lanterne que l’antiquaire avait soigneusement protégée. Elle alla chercher un produit pour nettoyer le cuivre et un chiffon et entreprit de frotter lentement le bel objet. Il lui semblait percevoir comme une vibration de contentement, comme un chat qui s’étirerait langoureusement sous les caresses de son maître en ronronnant de plaisir. Puis elle y glissa une bougie neuve qu’elle alluma. Elle ferma la petite trappe de verre et recula pour constater l’effet. Toute à une joie enfantine, elle battit des mains comme un enfant ravi. Heureuse de son achat et de cette belle lumière qui se répandait autour, elle porta la lanterne dans chaque pièce de sa maison comme pour les présenter. Puis, revenant au salon, elle éteignit la bougie avec un éteignoir qu’elle avait retrouvé au fond d’un tiroir et partit se coucher, fatiguée de cette aventure. Sa nuit fut jonchée de rêves étranges où elle entendait comme des chuchotements, des formules magiques répétées comme des mantras, elle voyait des hommes qui faisaient des manipulations magiques ou alchimiques…
Au réveil, elle se sentait mal à l’aise et pas reposée, comme si des messages importants lui avaient été délivrés, dont elle ne souvenait pas. Pourtant, elle savait au fond d’elle que le changement se poursuivait. Elle ferma les yeux à nouveau et rêva alors qu’elle entendait la lanterne lui parler. « Je suis la révélatrice de ton ombre. Je porte la lumière dans tes recoins les plus secrets, les plus cachés. Non pas pour t’effrayer, ni te déstabiliser, mais pour que tu saches qui tu es réellement. Toi qui crois être quelqu’un de bien, sache qu’il y a aussi en toi des parts dont tu es moins fière, qui font pourtant partie de toi et que tu ne peux plus ignorer. Oui, tu es quelqu’un de bien, et aussi une personne avec des défauts, des travers, des croyances négatives, des injonctions castratrices, des pulsions peu avouables et des jugements hâtifs peu ajustés. Tu es tout cela et je suis là pour t’aider à faire la lumière, accueillir et chérir les blessures qui en sont à l’origine, afin que tu t’en occupes vraiment et que tu deviennes l’être entier et vrai que tu es véritablement. Et je viendrai dans tes songes, dans tes pensées, régulièrement, comme des sensations ou des insights pour t’accompagner sur ton chemin de conscience. »
Sophie se réveilla eu sursaut, bien réveillée cette fois. Elle se leva, enfila son peignoir et alla au salon voir sa lampe. Et surprise, elle découvrit qu’elle était allumée.
Carlotta Munier
(Le 6 avril 2025)
(Crédit photo kalsstockmedia de Pixabay)
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