Un dimanche de rêverie

Douze ans, à la fois encore une enfant et pourtant elle se sentait déjà grande. Fière d’être parvenue à cet âge entière, sans grande blessure, sans gros traumatisme. C’est qu’elle avait réussi tant bien que mal à passer entre les gouttes du destin.

En ce dimanche ensoleillé, assise sur un petit muret de pierre, elle réfléchissait intensément à sa vie, tout en jouant avec une fleur. Elle réfléchissait à ce qu’elle avait vécu et à ce dont elle avait envie dans sa vie. Réfléchir équivalait en fait à rêvasser, à se laisser emporter par son imaginaire dans un futur plus ou moins lointain, dans un monde dont les prémisses difficiles se dessinaient. Elle se trouvait soudain bien inquiète. Tout en rêvassant, elle regarda le jardin autour d’elle. Elle vit les fleurs et les insectes, entendit leurs bourdonnements, perçu les parfums et les arômes et se dit alors que sa rêverie manquait de couleurs. Elle plongea alors dans son imaginaire et releva toutes les imperfections, toutes ces choses pas drôles qui faisait que la morosité la gagnait. Alors, dans chacun des interstices, elle mit ici du rouge, là du vert, tantôt du mauve et encore de l’orange. Elle peignait son futur avec tout ce qu’elle trouvait sous son regard dans le jardin de ses parents. Elle était heureuse d’ailleurs de pouvoir vivre dans une maison avec un jardin.

Par quoi commencer ?

Tout en ajoutant la touche finale à sa rêverie, elle y aurait passé la journée tellement elle était absorbée par sa création, elle prit une grande inspiration et se remit à réfléchir en soupirant. Et à voix haute, elle se dit « non, c’est bien joli tout ça, mais par quoi vais-je commencer maintenant pour réaliser cette vie-là ? Une vie riche en couleurs, saveurs, senteurs, voluptueuse de sensations, de découvertes à faire, de personnes et de créatures à rencontrer ! Par quoi vais-je commencer parce en fait, j’ai une foule de choses à explorer et mettre en place. » Puis soudain, elle s’arrêta. Stupéfaite, elle se dit « c’est bien joli tout ça, je veux bien commencer à agir, mais peut-être est-ce une erreur de vouloir tout imaginer parfaitement, dès aujourd’hui, Rome ne s’est pas fait en un jour ! Alors si je commençais par juste être là, par respirer et sentir ce qui est là, ce qui est agréable dans la douceur de cette fin d’après-midi, baignée de sensation de chaleur.

Rêver ou Vivre ?

Et si au lieu d’imaginer demain je vivais aujourd’hui, maintenant ? Chaque instant l’un après l’autre, en regardant ce qui est là autour de moi, en moi ? Le jardin et le plaisir de cette contemplation. Si je mets en moi toutes ces perceptions, je crée déjà un jardin de couleurs en moi et c’est cela que je vais emporter dans mon futur. Le plus possible de présent qui fera trace en moi sous forme d’impressions, de ressentis, d’émotions. Vivre intensément ce qui la vie me propose de vivre dans le moment. En respirant profondément, même quand quelque chose de désagréable ou de difficile se produit. Respirer la douleur, respirer la peur, respirer la colère, imprimer en moi ces expériences que je traverse, comme pour écrire un grand livre de ma vie. Un livre d’expérience, de moments, de vibrations, de présence. Et chaque jour une nouvelle page s’écrira, se dessinera. Nul besoin de prévoir à l’avance. Je serais comme un violoncelle dont les cordes seront jouées par la magie de l’instant présent. Voilà ce que je veux pour moi ! » Et l’on pourra comprendre que pour une jeune fille de douze ans, c’est là une excellente décision.

Carlotta Munier
Le 05/03/23